Géoarchitecture : drôle de nom ?

Le terme Géoarchitecture (en un seul mot) a été « inventé » aux États-Unis pour désigner les grandes transformations paysagères des années 1930, autour des grands projets d’aménagement et notamment des barrages (la Tennessee Valley Authority, notamment). Pour les plus curieux, un historique complet est proposé en fin de page.

L’Institut brestois souhaitait associer étroitement la réflexion sur le cadre bâti avec une attention soutenue aux espaces naturels. Il a été fondé autour d’une double préoccupation :
l’impact des aménagements sur l’environnement, une question encore balbutiante dans les années 1970 ;
l’ingénierie au service des territoires : l’Université était alors présidée par Julien Querré, par ailleurs maire du Relecq-Kerhuon, qui était très attentif à cette engagement.

Des formations professionnalisantes et un laboratoire

La Maîtrise de Sciences et Techniques fondée en 1976 a été imaginée pour privilégier l’insertion professionnelle des diplômés. Depuis 2004, elle a évolué vers une 3e année de Licence suivie de deux années de Master qui ont maintenu cette orientation, avec notamment une 2e année de Master presque intégralement assurée par des professionnels.
Les débouchés ont toujours été au rendez-vous, comme le montrent toutes les enquêtes indépendantes menées régulièrement par l’université et le Collectif national des jeunes urbanistes (CNJU).

Depuis 2008, l’Institut a construit une Licence professionnelle en alternance, dédiée aux métiers du bâtiment, en partenariat avec le lycée professionnel Dupuy-de-Lôme. Aujourd’hui intitulée Conception et rénovation éco-responsable du bâtiment (CREB), elle est conçue comme une spécialisation dans les différents métiers de la transition énergétique et écologique du bâtiment.

D’abord modestes, les effectifs ont atteint un niveau de croisière de 110 étudiants pour les trois années de formation à l’urbanisme, à l’aménagement, et aux questions d’environnement toujours très présentes. Outre une dizaine d’enseignants-chercheurs titulaires, ce sont plus de 80 professionnels de toutes spécialités qui contribuent à une formation reconnue comme l’un des principaux instituts d’urbanisme français. Le Master est labellisé par l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (Aperau) et adhère à l’Association of European Schools of Planning (Aesop).

Un laboratoire de recherche

Fondé en 1982, le laboratoire de Géoarchitecture compte aujourd’hui 25 chercheurs répartis sur tout l’Ouest breton, et associe de nombreuses spécialités, de l’écologie à l’histoire de l’urbanisme, en passant par l’économie ou la géographie. Le laboratoire est engagé dans de nombreux programmes, sur des thématiques aussi variées que les dynamiques métropolitaines, les relations complexes entre villes et les espaces périurbains, les transitions pour les milieux urbanisés, l’enseignement dans les écoles d’architecture, les travaux autour des rythmes et des pratiques dans la nuit autour d’une chaire universitaire, les relations entre ville, bien-être et santé, les écosystèmes littoraux.
Le laboratoire est par ailleurs impliqué dans nombre des actions du consortium des universités européennes SEA-EU.

Le territoire sur tous les fronts

À partir de ce solide ancrage universitaire auquel sont adosssé les cours et travaux dirigés, la scolarité des géoarchitectes parcourt tous les terrains : leurs mémoires doivent porter sur un territoire ou un problème concret, et le programme du Master comporte deux « ateliers professionnels » pour le compte d’une commune, d’un opérateur de l’urbanisme ou d’un bureau d’études : en situation réelle (le principe s’inspire des « junior entreprises », le résultat du travail doit atteindre le niveau de celui d’un professionnel.

Depuis la création de l’Institut, de nombreuses communes de Bretagne ont ainsi soutenu la formation, qui a construit avec elles l’expertise de près de 1500 titulaires du diplôme. Leur réseau est animé par une association, le Carré géoarchi, qui les convie tous les cinq ans pour une journée de forum en complément du forum annuel des métiers de l’ingénierie territoriale.

Le nom « Géoarchitecture » : toute l’histoire

Extrait de L’Architecture en ses écoles : Une encyclopédie au XXe siècle, éd. Locus Solus, 2022.

Sur la suggestion de deux architectes alors enseignants à l’École d’architecture de Rennes — Bernard Boclé et Louis Beaupré —, un département de Géoarchitecture fut créé à Brest en 1974, au sein de l’Université de Bretagne occidentale (UBO). Il ne proposa d’abord qu’un diplôme d’établissement mais, deux années plus tard, avec une nouvelle direction, l’habilitation d’une maîtrise des sciences et techniques éponyme fut obtenue : Géoarchitecture apparut ainsi dans la nomenclature des diplômes nationaux. Les porteurs initiaux du projet se réclamaient de Thomas Munro, fondateur de l’American Society of aesthetics, qui, en 1949, avait consacré un chapitre à la geo-architecture dans The arts and their interrelations, ouvrage traduit en français en 1954. S’appuyant sur l’exemple de la Tennessee Valley Authority (TVA), il y voyait l’art de combiner les différentes disciplines scientifiques et artistiques afin de tirer le meilleur profit des possibilités environnementales et sociales d’un terroir, d’une ville ou d’une région. En fait, le mot semble avoir été d’abord utilisé par des géomorphologues traitant du grand paysage ; il aurait été repris par les aménageurs attelés au vaste programme de la TVA. Sa première occurrence dans la littérature se trouve dans un article de l’historien de l’art germano-américain Wolfgang Born, qui en fit usage dans Magazine of art en janvier 1944 pour traiter de la villa Fallingwater de Frank Lloyd Wright et de sa relation à la nature environnante.

Vingt mois plus tard, Le Corbusier l’utilisa à deux reprises dans L’urbanisme des trois établissements humains : « L’études de ces trois sortes d’établissement, écrivait-il, nous permettra d’avancer vers des certitudes. L’occupation du sol pourra être reconsidérée, ce qui signifie proprement : ordonner l’espace, faire de la géographie humaine et de la géo-architecture, termes qui sont apparus petit à petit en ces temps, dans de graves mémoires, dans des rapports et des études ». Le Corbusier ne citait pas les documents sur lesquels il s’appuyait, mais il s’intéressait de longue date aux aménagements de la TVA, qu’il allait d’ailleurs visiter quelques semaines plus tard en compagnie d’Eugène Claudius-Petit. Il en connaissait les derniers développements, notamment par l’intermédiaire du Centre d’études et de recherches en urbanisme (CERU), installé au sein du jeune CNRS, où s’activaient Pierre-André Émery, André Sive, Marcel Roux, François Bienvenu et Jean de Maisonseul, qui tenaient l’aménagement de la Tennessee Valley comme le meilleur exemple de ce qu’appelaient les temps nouveaux. Le mot dès lors fit florès, plus précisément théorisé par Carl C. Condit en 1947 et Thomas Munro en 1949, puis repris ou emprunté par des biologistes (Alfred Gundersen, 1950), des géologues (Andreas Hoppe), des archéologues, etc.

L’Institut de Géoarchitecture brestois, installé dans la faculté des sciences et techniques de l’UBO, est caractérisé par une large interdisciplinarité ; ses programmes mobilisent la quasi-totalité des disciplines impliquées dans l’aménagement, mais aussi dans la gestion de l’environnement, dont il fut un pionnier, ce qui lui valut immédiatement un recrutement national. Le domaine bâti et l’architecture — histoire et actualité, doctrines et théories — y occupent une place importante. De surcroît, la pédagogie emprunte aux formes traditionnelles de l’enseignement de l’architecture. Ainsi, le travail en atelier y est privilégié et l’organisation d’une partie significative des activités — la gestion des contrats faisant support aux projets et l’organisation des voyages d’étude, notamment — est assumée par une association rappelant à bien des égards les masses en vigueur naguère à l’ENSBA et dans les écoles régionales. L’Institut de Géoarchitecture, qui est dirigé par des architectes depuis 1976, délivre une licence et un master, tandis que le laboratoire de recherche « Géoarchitecture : Territoires, Urbanisation, Biodiversité, Environnement », créé en 1982 et auquel il est adossé, accueille des doctorants : l’ensemble constitue un effectif de 120 étudiants. La formation brestoise conserve l’exclusivité en France de cette dénomination qui, en revanche, a été mise à contribution en de nombreuses places étrangères : en 1998, Paolo Portoghesi — fondateur simultanément de la revue Abitare la Terra : Rivista di geoarchitettura – en fut le promoteur à Rome, au sein de la faculté d’architecture Valle Giulia de La Sapienza ; Hashim A. Sarkis en fit la glose à partir de 2012 à l’Harvard University graduate school of design et Fang Wang la popularise au College of architecture and landscape de la Peking University. On ne saurait en outre négliger son usage dans divers blogs très actifs, notamment celui de Lindsay Bremner, professeur à la School of architecture and cities de l’université londonienne de Westminster : « Geoarchitecture, recording intersections between architecture, geology and politic ».

Références bibliographiques

  • Le Corbusier, L’urbanisme des trois établissements humains, Paris, éditions de Minuit, 1959, p. 72.
  • Condit Carl W., « Modern architecture : A new technical-aesthetic synthesis », in The journal of aesthetics & art criticism, Vol. VI, 1947, p. 45-54.
  • Munro Thomas, Les arts et leurs relations mutuelles, Paris, Puf, 1954 (1949)
  • Sarkis hashim, « Le Corbusier’s “Géo-architecture“ and the emergence of terratorial aesthetics », in Re-scaling the environnement : new landscapes of design (1960-1980), Ákos Moravánszcky et Karl R. Kegler (dir), Bâle, Birkhäuser, 2017, p. 115-134.
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